
À Ajaccio, des cours de français pour tisser des liens et retrouver confiance
REPORTAGE
En Corse comme ailleurs, les personnes migrantes font face à de nombreux obstacles pour s’intégrer dans la société : barrière de la langue, isolement, précarité. Pour y répondre, des bénévoles du Secours Catholique proposent chaque semaine des cours de français dans plusieurs villes de l’île. Bien plus qu’un apprentissage linguistique, ces temps sont aussi des moments de lien, de soutien et de fraternité. À Ajaccio, nous avons suivi l’un de ces cours, animé par Sophie, bénévole depuis dix ans.
Les personnes migrantes sont un public particulièrement vulnérable. Leur statut est fragile et elles vivent souvent dans des conditions extrêmement précaires, avec de très faibles revenus et de grosses difficultés d’accès à l’emploi et au logement. Les discours stigmatisants à leur égard favorisent l’indifférence d’une part de l’opinion publique face à leur situation, et expliquent la caution apportée à des politiques qui réduisent leurs droits sur notre territoire.
C’est dans ce cadre-là que 3 000 bénévoles agissent partout en France pour accompagner près de 20 000 personnes étrangères dans l’apprentissage de la langue française, qu’elles soient en situation régulière ou non. La Délégation de Corse ne fait pas exception, avec pas moins d’une dizaine de cours proposés sur différents créneaux, et répartis entre les équipes de Lucciana, Sartène et Ajaccio.
Les bénévoles accueillent des personnes de tous horizons. Selon la demande, il peut s’agir d’apprendre à lire, écrire ou simplement parler, toujours dans l’objectif de mieux s’insérer socialement et d’éviter l’isolement.
Nous sommes jeudi 19 juin, il est 16h00 dans les locaux de l’accueil de jour d’Ajaccio.
Sophie, bénévole depuis dix ans, assure un cours d’apprentissage du français de 14h00 à 16h30 chaque semaine. C’est une bénévole douce, toujours attentive à parler lentement et de manière bienveillante, pour se faire comprendre de tous. En tant qu’ancienne professeure des écoles, l’exercice lui paraît « facile » selon ses mots, même si elle met un point d’honneur à ne pas infantiliser les participants.
Six personnes sont présentes, dont un seul homme. La plupart d’entre eux sont Ukrainiens, tous sont arrivés ici en pensant qu’ils seraient de passage pour une courte durée et ont malheureusement dû rester à cause de la guerre. Apprendre le français dans ces conditions devient alors absolument nécessaire, pour pouvoir accéder à un travail, s’occuper de ses enfants scolarisés, sortir de l’isolement ou tenter d’obtenir une naturalisation.
Ce jour-là, il fait extrêmement chaud, mais ils ont répondu présents, une nouvelle participante est même de la partie. Sophie a une attention particulière envers elle pour qu’elle se sente intégrée.
Assis autour de la table, la fenêtre est ouverte et des bouteilles d’eau et gobelets ont été mis à disposition par la bénévole. L’objectif de ces deux heures et demie n’est pas de suivre un programme très académique, mais plutôt d’apprendre à se débrouiller dans la vie quotidienne. Sur le tableau au fond de la salle, c’est le futur simple qui est à l’ordre du jour. Différents verbes y sont conjugués. Des polycopiés sont éparpillés sur les tables au centre, afin de suivre une trame et quelques exercices préalablement préparés par Sophie.
Même si les leçons mettent chaque semaine l’accent sur une règle de grammaire ou d’orthographe, le plus important pour la bénévole reste d’inciter chacun à prendre la parole.
L’ambiance est détendue, la plupart des personnes a le sourire aux lèvres, des moments de rires émanent régulièrement, notamment lorsque Sophie tente de faire quelques blagues en français, incitant toujours plus les participants à s’exprimer. Cela passe notamment par leur poser de nombreuses questions : « Qu’as-tu fait ce week-end ? À quelle heure t’es-tu levé ce matin ? »
Une personne raconte qu’elle a promené son chien en se levant, Sophie en profite pour écrire le mot « chien » au tableau, puis « chienne ». Une participante comprend que cela signifie « une madame chien ». Tout le monde plaisante en répétant « madame chien ».
La bénévole est très à l’aise et n’hésite pas à rebondir sur chacune des phrases des participants, pour les corriger, et en faire découler de nouveaux apprentissages. Elle enchaîne en leur écrivant les mots « chats » et « chatte » au tableau. Une personne demande alors si « chatte est petit chat », chose à quoi Sophie répond que « chatte est madame chat, chaton est bébé chat ».
Elle a de nombreux réflexes pour se faire comprendre : donner des synonymes très simples, mimer avec de grands gestes, ou si besoin traduire en anglais. Elle n’hésite pas non plus à répéter les paroles complexes, et à exagérer la prononciation pour que ce soit plus facile à intégrer. Elle sait que l’apprentissage du français, déjà complexe, est particulièrement difficile pour les personnes d’origine ukrainienne, dont l’alphabet et les sons diffèrent fortement.
Ce jour-là, le cours a pris du retard : à 16h45 ce n’est pas terminé, mais Sophie souhaite prolonger pour aborder tout ce qu’elle avait prévu.

« 40% de langue française, et 60% d’accueil, d’écoute, de fraternité et de soutien ».
L’ensemble des personnes se tutoie, et s’entraide beaucoup. Lorsque quelqu’un ne sait plus où l’on en est, sa voisine n’hésite pas à lui montrer. Cela vaut quelques plaisanteries avec la bénévole qui demande de « ne pas tricher ».
Tout au long du cours, Sophie répétera à de nombreuses reprises : « Tout à fait, très bien, vous êtes très forts ». Elle valorise chaque personne, individuellement ou collectivement.
Au Secours Catholique, le fait de réunir uniquement des petits groupes de personnes, avec maximum 10 participants, permet d’avoir un accompagnement moins scolaire, plus personnalisé, et de s’assurer que personne ne soit perdu.
Les cours assurés par les bénévoles ne délivrent pas de diplôme, ils ne sont pas qualifiants. Ils peuvent en revanche fournir une attestation de suivi et permettent de préparer les tests de connaissance du français, nécessaires pour une demande de nationalité. Certains participants suivent également des cours plus institutionnels (GRETA notamment), où les effectifs sont plus nombreux. Ces cours complémentaires permettent d’augmenter les heures de pratique et de progresser plus rapidement.
Comme chaque année, les cours terminent le 30 juin, sauf exception, pour laisser place aux vacances d’été, où les bénévoles prennent une pause bien méritée, pour s’occuper d’eux-mêmes, de leurs petits-enfants, pour souffler.
Afin de clôturer cette belle année, une sortie à Corte a été organisée le dimanche 22 juin avec tous les bénévoles des cours de français d’Ajaccio. Tous les participants des différents cours sont conviés : une belle occasion d’allier apprentissage de la langue, découverte du patrimoine et partage d’un moment convivial autour d’un repas.
Sophie n’oublie pas que le Secours Catholique est, avant tout, un lieu d’accueil inconditionnel, où chacun doit se sentir libre d’être qui il est. Ce cadre bienveillant donne parfois lieu à des aides individuelles, ou à l’expression de problématiques qui vont bien au-delà de la langue.
Pour Sophie, ces cours de français représentent « 40% de langue française, et 60% d’accueil, d’écoute, de fraternité et de soutien ».
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